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Petits comités de bambins

27/07/2021

Notre plus jeune fille recevait la visite de deux copines. Ses BFF, comme on dit aujourd'hui... Un terme que les enfants de quatre ans reprennent déjà avec plaisir. Assister à ces petits comités est souvent hilarant, mais quel sérieux pourtant! Les sujets abordés changent à la seconde, sans la moindre introduction. Personne ne sait vraiment de quoi parle l’autre, mais une chose est sûre, la convivialité est de mise.

Ces petites réunions de bambins sont pour moi une occasion particulière, qui me permet de découvrir comment les choses doivent se passer dans une classe de maternelle. J’aime donc tendre l'oreille, et je dois dire que cela n’a rien de très compliqué, car la spontanéité est encore une évidence à cet âge-là. Voici une analyse à la fois unique et remarquable:


Elles partagent les dernières petites nouvelles entre elles. Peu importe, à cet égard, qu'il y ait ou non un fond de vérité. Tant que cela fait impression. Et de préférence avec beaucoup de bluff, de décibels et de références scatologiques. Ces dernières marchent toujours très bien, donc si une fillette veut avoir le dernier mot, nul doute qu'elle choisira cette option.


C’est ainsi que, sur une terrasse bondée, une glace au chocolat deviendra un 'bac rempli de caca' avec tant de conviction que la copine qui a choisi la glace en question regardera sa friandise glacée avec hésitation. Quelques prudentes bouchées plus tard, la méfiance a fondu comme neige au soleil et elle savoure sa glace, ignorant les jacasseries de ses copines comme si elle portait un casque antibruit. Sur la terrasse, les autres visiteurs les regardent, passionnés (ou irrité, qui peut le dire?). Ils nous trouvent courageux, avec notre théâtre de rue improvisé, ou se cassent la tête en se demandant comment faire avec des triplées. C'est possible aussi.


Lors de ces bavardages, les anecdotes vont toujours bon train. La moindre amorce suffit pour en faire tout en événement. Les phrases forment un ensemble peu cohérent, mais notre trio est convaincu d'une ligne de temps parfaitement logique. C’est assez dingue, mais les autres petites rient au bon moment et témoignent de leur intérêt en posant des questions sur le déroulement de la chose.


L’histoire portait sur le chat de mademoiselle A. "Les chats sont réveillés la nuit", raconte-t-elle. La copine B ajoute que les hiboux aussi sont réveillés la nuit. Approbation générale. Le chat (dont j’ai demandé le nom trois fois, mais que je n’ai toujours pas compris) s’avère être un couche-tard, car il est une fois passé devant le capteur de l’alarme, déclenchant la sirène et réveillant toute la famille. "En pleine nuit, hein! Alors qu'il faisait NOIR!" Cet événement semble avoir profondément marqué la copine A, tandis que les copines B et C trouvent l’histoire captivante. Les histoires de nuit et de noir plaisent toujours beaucoup aux enfants de cet âge... Histoire de mettre un peu de tension. Jusque-là, c'est clair. Après un court silence propice à la réflexion, toute la petite clique décide que le chat est un cornichon, et que le papa qui a dû aller couper l’alarme est un véritable héros.


Les traumatismes non digérés pointent eux aussi parfois le bout de leur nez. Ils sont souvent évoqués de manière amplifiée, pour susciter l’empathie des autres membres du groupe. Lorsque son papa lui a mis son casque de vélo, miss A se souvient de manière très vive comment il a coincé la peau de son menton dans la boucle. Elle s’en souvient comme si c’était hier, à voir la grimace de douleur sur son visage. Sa copine empreinte d'une dramatique pitié mais aussi très déterminée lui dit: "Avec mon papa, cela n’arrive jamais, car il met son doigt entre les deux. Tu ne dois donc pas avoir peur." Quelle pression sur les prestations du papa! Il réussit à amener l’enfant un pas plus loin dans le traitement du 'trauma', en menant cette tâche à bien. Mission accomplie!


Nos chipies aiment aussi recevoir et donner des compliments. Elles se gonflent littéralement de fierté lorsqu’elles entendent un compliment, essaient de cacher ce qu’elles ressentent avec un visage impassible, car il faut bien frimer un peu quand même. Elles semblent toutefois comprendre que recevoir de chouettes compliments fait du bien, et essaient donc d’en distribuer. Mais trop souvent, elles ne mâchent pas leurs mots et expriment leur avis sans sourciller, que cela soit blessant ou non. Et bien que la remarque qui va droit au but semble peu subtile à nos yeux, elle paraît normale dans le langage brut et peu châtié de nos bambins, et la destinataire ne s’en offusque même pas. Les vraies disputes sont rares.


La copine C trouve incroyable que miss B n’ait pas mangé toute sa glace. "T’es qu'un bébé, alors", lâche-t-elle, sans impressionner le moins du monde son interlocutrice. Pendant leur petite joute, elles ont bien dû se dire une vingtaine de fois qu’elles n’étaient plus 'les meilleures amies du monde', pour affirmer le contraire autant de fois dans la seconde. Avant de se pâmer, la voix mielleuse, sur leurs jupes et le portefeuille de maman (plein de strass, inutile d’en dire plus), à la grande fierté des fillettes, alors que je me disais justement qu'il était temps de le remplacer, ce fameux portefeuille.


Elles ont critiqué les choix musicaux paternels à tout va. Alors qu’il essayait de trouver une chouette playlist sur Spotify, la copine A a demandé à l’autre, pleine de compassion, si son papa n’avait pas de chansons pour enfant. Elle ne parvenait pas à comprendre que l'on doive grandir sans écouter les Kids United et d’autres hits du genre. Quelle carence dans sa culture musicale ! Les hits pop classiques n’ont pas suscité le moindre enthousiasme, les copines proclamant par la suite des rimes fraîchement inventées.


Dans le bac devant le vélo, elles font signe à tout ce que l’on croise. Elles le font souvent en décrivant ce qu’elles voient, avec parfois des termes fleuris, sans la moindre discrétion. Cela va de "Bonjour maison! Bonjour, gros chat! Bonjour, voiture!" à "Bonjour, vieilles personnes!" Ce dernier est sorti tout seul alors que nous croisions un couple de personnes âgées, installées dans des chaises de jardin en plastique devant leur maison pour profiter du soleil. Le couple nous a fait signe, l’air amusé (croyez-moi, trois demoiselles dans un vélo cargo, cela fait tourner les têtes), ce qui m’a fait dire que leur audition était défaillante.


Elles aiment chahuter et rire. Le rire de la copine C est incroyablement contagieux, au point que je me suis demandé si les autres ne riaient pas aux éclats juste de l’entendre rire, et pas vraiment pour l'histoire racontée. Je n’ai moi-même pas pu m’empêcher de rire lorsqu’elle a commencé à glousser. Et il ne faut pas grand-chose pour cela: passer sur une bosse ou prendre un virage inattendu suffit, et explique sans doute le fait qu’elles attirent tous les regards. Elles s’amusent comme si elles étaient dans l’attraction la plus folle d’un parc d’attraction, pouffant et criant.


Ce ne sont pas encore des ados, mais leur comportement en montre parfois les prémices. Il est beau de voir qu’elles gardent chacune leur caractère tout en trouvant leur place dans le groupe. Elles ne voient pas où est le problème quand elles donnent leur avis de but en blanc, formulent leurs besoins... Même si elles essaient quelque peu de tenir compte de l’autre. Elles ont les mêmes jeux fantaisistes et se sont parfaitement trouvées. Elles connaissent aussi leurs moins bons côtés et n’ont pas de problèmes avec ça. Elles savent quand elles doivent se retrouver et quand prendre un peu de distance, lorsque l’autre en a marre. Elles restent proches, même si elles semblent jouer chacune dans leur coin. Elles se respectent, même si jeunes, même avec des mots parfois bruts. Elles entretiennent un beau lien, et elles espèrent qu’il durera toujours. Au moins jusqu’à l’adolescence!